Ces départements étaient administrés par des préfets, sous les
ordres desquels étaient placés les généraux de brigade, revanche
un peu puérile du décret de 1864. Au gouvernement militaire fut
substitué le gouvernement civil; le fonctionnaire centralisant à
Alger le gouvernement et l'administration reçut le titre de
gouverneur général civil des trois départements de l'Algérie. Le
général commandant les armées de terre et de mer ne conserva
d'autorité que sur le territoire militaire. A côté du gouverneur
étaient placés un Comité consultatif et un Conseil supérieur de
gouvernement. La représentation parlementaire était rétablie. Le
principe général dont on s'était inspiré était l'assimilation
complète de l'Algérie à la France, assimilation poussée jusqu'à
l'extrême, jusqu'à l'absurde. On s'engageait ainsi dans une voie
entièrement différente de celle de l'autonomie partielle et de la
décentralisation administrative qu'avait préconisées la
Commission Armand Béhic. Ces mesures, comme le fit remarquer M.
Crémieux, étaient d'ailleurs conformes aux vœux maintes fois
exprimés par les Algériens, mais eux-mêmes devaient par la suite
en ressentir tous les inconvénients.
Un autre décret, également daté du 24 octobre, avait pour objet
la naturalisation en masse et sans condition des Israélites
indigènes. Un projet de loi dans ce sens avait été présenté au
Conseil d'État dans les derniers temps de l'Empire; Émile
Ollivier, répondant à une question de Crémieux, avait déclaré
que le gouvernement était parfaitement résolu à effectuer cette
naturalisation. Crémieux, " tout à la joie, une des plus
grandes de sa vie, de donner à 30 000 de ses coreligionnaires le
titre de citoyen français ", n'hésita pas un instant, et,
sans avoir consulté ni les autorités civiles et militaires de
l'Algérie, ni le consistoire israélite, prit la mesure qui lui
tenait si fort à cœur. D'autres décrets étaient relatifs à
l'institution du jury, à l'exercice de la profession d'avocat et à
une foule d'autres objets.
Ces décrets étaient à tout le moins inopportuns. La situation
de l'Algérie commandait les plus grands ménagements vis-à-vis des
musulmans. Ils connaissaient nos malheurs, ils savaient que la plus
grande partie des défenseurs de la colonie avait dû partir pour
entrer en ligne contre les Prussiens et que le reste se préparait
à les suivre. Le décret Crémieux ne fut pas, ainsi qu'on l'a
prétendu, le motif déterminant de l'insurrection indigène de
1871, mais il servit de thème aux agitateurs. On déclara aux
musulmans que c'était un Juif qui gouvernait désormais la France
et l'Algérie, que le régime civil était imposé par un Juif et
qu'ils seraient désormais justiciables de jurés juifs.
M. Crémieux était très fier de son oeuvre : " Aujourd'hui,
disait-il, nos décrets ont assimilé l'Algérie à la France à ce
point que tout le territoire de l'Algérie forme trois départements
dans nos départements, au sein desquels nos décrets les ont
placés à leur rang alphabétique; les bureaux arabes sont sous
l'autorité du ministre de l'Intérieur, les sièges des divisions
militaires sont séparés du siège des préfectures occupant les
chefs-lieux.
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