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« L'amiral, écrit un de ses contemporains, est de taille moyenne
et le plus souvent marche les mains dans ses poches, tranquille,
abandonné. La tête est alors légèrement baissée. C'est qu'en se
promenant, il travaille. Mais se met-il à causer le soir dans son
salon, la tête se relève, toute la physionomie s'éclaire. Le
geste est prompt et d'une soudaine éloquence, le visage d'une rare
expression. Le front, large, bombé, s'avance en saillie. Des
cheveux longs, bouclés, gris et châtains, retombent tout autour.
Très enfoncés sous l'arcade sourcilière, les yeux petits, très
vifs, pétillent d'intelligence et de malice. La bouche sourit avec
une bonhomie et une naïveté narquoises. Ce marin est un diplomate
et s'est révélé aussi expert et aussi serré qu'un homme
d'affaires. » Esprit large et caractère énergique, Gueydon fut un
des meilleurs gouverneurs qu'ait eus l'Algérie et un de ceux qui
ont laissé les meilleurs souvenirs.
L'amiral de Gueydon fut d'abord assez mal accueilli. On le
considérait comme le représentant de la réaction versaillaise; on
déplorait l'incapacité probable d'un gouverneur que sa qualité de
marin semblait devoir rendre impropre aux affaires civiles. Ces
préventions s'effacèrent vite. L'installation du gouvernement
général civil, même avec un titulaire militaire, n'alla pas sans
heurts. D'abord, l'amiral voulut ressaisir le commandement des
forces de terre et de mer, qui lui avait été enlevé; il rencontra
des résistances à Paris au ministère de la Guerre. Il eut aussi
des difficultés avec les députés de l'Algérie, qui étaient
alors MM. Alexis Lambert, Jacques, Vuillermoz, Lucet, Warnier et
Colas; avec les conseils municipaux, en particulier avec celui
d'Alger. Il fut soutenu par M. Tassin, son directeur des affaires
civiles, par M. Fournier, directeur de l'Algérie au ministère de
l'Intérieur, surtout par M. Thiers, qui lui offrit même un
ministère de l'Algérie. L'amiral refusa : « Monsieur le
Président, dit-il, vous êtes un opiniâtre, mais je suis un
entêté. Nous ne siègerions pas une demi-heure en face l'un de
l'autre sans nous jeter les encriers à la tête. Croyez-moi,
laissons la Méditerranée entre nous. » Et il écrivait à M.
Fournier : «Un ministère à Paris, un commandant en chef de corps
d'armée à Alger, ce serait la mort de ce pays. Avant six mois, le
ministère disparaîtrait et une fois encore l'Algérie serait
occupée militairement. Nous touchons au but, de grâce ne changeons
rien. »
L'amiral de Gueydon déclarait ne pas croire à la possibilité
de l'assimilation des indigènes : «L'élément français,
disait-il, doit être l'élément dominant, c'est à lui seul
qu'appartient la direction de l'administration du pays. Ni
l'élément indigène, arabe ou israélite, ni l'élément étranger
ne peuvent prétendre à une influence ou à une part quelconque
dans la direction politique ou administrative du pays ; la
naturalisation doit être la seule voie ouverte aux résidents
non-français pour exercer les droits de citoyens. »
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