Du deuil des provinces perdues naît le rêve d'en reconstituer de
plus vastes au delà de la Méditerranée. » L'esprit public,
préoccupé jusque-là surtout de la mise en valeur du sol, prend
plus clairement conscience de l'avenir du peuple qui doit garder
en Algérie le dépôt de nos destinées. La colonisation ne sera
plus cosmopolite, elle ne fera appel qu'aux Français; Français
d'hier et Français d'aujourd'hui, Français de la métropole et
Français d'Algérie, elle se donne pour but principal d'en
accroître le nombre et d'en rendre définitive l'installation.
« Il n'est, disait l'amiral de Gueydon, qu'un seul moyen
d'attirer en grand nombre les immigrants : ce n'est pas de faire
bruyamment appel à l'immigration, c'est de faire voir le spectacle
d'une colonie prospère. Or, la terre est féconde en, Algérie;
aucune ressource pour ainsi dire n'y fera défaut à l'esprit
d'entreprise; je m'attache à la doter d'administrations
régulières, à y développer les institutions libres; y vienne
donc qui veut et que chacun puisse y travailler, commercer,
cultiver, spéculer comme il l'entend... Il est indispensable que
les acquéreurs de terres trouvent à leur portée des centres de
résistance, de protection ou d'approvisionnement, des villages en
un mot, qui forment comme un cadre à la colonisation libre, au
libre marché de la propriété indigène. La création de ces
villages, destinés à constituer le mobile économique sans lequel
aucune entreprise agricole ou industrielle ne naît viable, tel est
le seul rôle direct qui appartienne à l'administration dans l'œuvre
générale de la colonisation. » Dès son arrivée dans le pays,
l'amiral plaça la colonisation au premier rang de ses
préoccupations; c'est lui qui a ouvert résolument la voie nouvelle
où elle s'est alors engagée. Lorsqu'on voulait lui plaire, on
l'appelait « l'amiral Bugeaud ». C'est qu'en effet, à ses grandes
qualités de soldat, il joignait l'esprit de gouvernement, le bon
sens rare, l'initiative, l'instinct patriotique du vieux maréchal
qui fut le père de l'Algérie française.
La politique du Second Empire avait abouti à ce résultat qu'en
1871 il ne restait presque plus de terres domaniales dans les
régions accessibles au peuplement européen, le sénatus-consulte
de 1863 ayant déclaré les tribus propriétaires de tout le
territoire qu'elles occupaient et le domaine ayant été dilapidé
en grandes concessions. A la suite de l'insurrection, la
contribution de guerre, le séquestre imposé aux tribus révoltées
fournirent à la fois à l'État des ressources pécuniaires et des
terres. La contribution de guerre fut employée à indemniser les
colons ; pour qu'ils ne fussent pas tentés de quitter l'Algérie
après avoir réalisé leur avoir, Gueydon exigea que les
indemnités immobilières fussent employées exclusivement, sous la
surveillance de l'administration, à la reconstruction des immeubles
détruits.
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