Le titre Ier du décret réglait les conditions auxquelles les
Alsaciens justifiant d'un capital d'au moins 5 000 francs pourraient
obtenir des concessions avec propriété immédiate. Le titre II
permettait d'accorder des concessions à tous les Français,
Alsaciens ou non, ayant ou n'ayant pas de ressources, moyennant un
loyer d'un franc par an et par hectare; la pleine propriété
n'appartiendrait au concessionnaire qu'après une résidence
effective de neuf ans et la mise en culture de la concession. Pour
la première fois, les étrangers étaient exclus des concessions de
terres : « Nous avons à fonder, disait le rapporteur, une colonie
française, non européenne. »
Des commissions furent constituées à Belfort et à Nancy pour
recevoir les engagements; elles furent assiégées de demandes, mais
ces demandes sollicitaient pas d'agriculteurs aisés des pays
annexés; presque tous les Alsaciens qui demandaient des concessions
étaient des ouvriers de fabrique atteints par le chômage : « Les
cultivateurs, disait M. d'Haussonville, se trouvaient être de
beaucoup les moins nombreux. » La plupart des demandeurs ne
disposaient d'aucun capital; en mars 1874, sur 877 familles
installées dans les centres, 38 seulement remplissaient les
conditions prévues au titre Ier, 839 bénéficiaient du titre II,
c'est-à-dire étaient sans ressources.
Malgré la bonne volonté et les efforts de tous, malgré
l'active collaboration de l'autorité militaire, en particulier du
général de Galliffet, il y eut beaucoup de défectuosités et de
mécomptes. La différence est grande entre le climat des pays
annexés et celui de l'Algérie; les nouveaux venus étaient très
inexpérimentés; lorsqu'ils arrivèrent, les installations
destinées à les recevoir n'étaient pas achevées; ils durent
loger sous la tente ou dans des gourbis ; l'état sanitaire s'en
ressentit et les maladies sévirent sur les colons. Des initiatives
privées s'efforcèrent de leur venir en aide; on leur attribua le
fonds Wolowski, s'élevant à 6 millions et provenant d'une
souscription pour la libération du territoire. La Société de
protection des Alsaciens-Lorrains, présidée par le comte d'Haussonville,
exerça une action généreuse et efficace, ainsi que M. Jean
Dollfus.
Les Alsaciens furent établis surtout à l'extrémité orientale de
la Mitidja, dans les vallées kabyles, dans la vallée de la
Soummam, sur les plateaux de Sétif et de Constantine. Des villages
furent nommés Strasbourg, Metz (Akbou), Rouffach, la Robertsau. Le
premier village fondé fut Belle-Fontaine, à l'entrée de la
Kabylie; puis vinrent Bou-Khalfa, création de Jean Dollfus ;
Azib-Zamoun (Haussonvillers), création de la Société de
protection des Alsaciens-Lorrains. Dès 1e mois de décembre 1873,
33 familles sont installées à Haussonvillers « soit 135
personnes, plus une 136ème qui vient de naître. » On en était
réduit au strict indispensable, bien qu'une famille eût amené un
piano.
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