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LA LOI DE 1873
SUR LA PROPRIÉTÉ INDIGÈNE |
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La grave question de la
législation foncière n'était toujours pas résolue. Le
sénatus-consulte de 1863 s'était -proposé de favoriser la
colonisation et la mise en valeur de l'Algérie par la
constitution de la propriété individuelle chez les
indigènes. Mais, sous le Second Empire, on avait seulement
délimité les tribus et les douars; nulle part on n'avait
entrepris la répartition entre les individus. Après 1871,
les idées se modifièrent en cette matière comme dans
toutes les autres. On aurait pu revenir au cantonnement,
mais on préféra conserver le sénatus-consulte et remettre
aux indigènes des titres individuels. Un texte de loi dans
ce sens, précédé d'un long et remarquable rapport de M.
Warnier, fut présenté à l'Assemblée nationale et adopté
par elle. Cette loi, connue sous le nom de loi Warnier,
cherche à atteindre la francisation de la terre musulmane
et la délivrance aux indigènes après enquête de titres
de propriété. On constate la propriété individuelle là
où elle existe; on la constitue dans les territoires de
propriété collective par des procédures d'enquête
générale s'appliquant à tout un douar ou à toute une
tribu. Plus tard, une loi de 1887 compléta et améliora la
loi de 1873 en conservant le même principe.
Les auteurs de ces lois croyaient de bonne foi qu'ils
allaient être les bienfaiteurs des indigènes en les tirant
d'un soi-disant collectivisme, agraire pour les élever à
la dignité de propriétaires individuels. Les résultats ne
répondirent malheureusement pas à ces espérances. Nul
essai législatif n'a donné lieu en Algérie à un travail
aussi colossal que la loi de 1873, mais nul n'a abouti à un
échec plus lamentable. Au point de vue théorique, la loi
n'avait pas tenu suffisamment compte du droit musulman. Au
point de vue pratique, elle manqua son but, car elle ne
donna pas aux Européens la sécurité dans les
transactions, ne conduisit pas les indigènes aux bienfaits
de la propriété individuelle, mais en revanche les ruina
par des aliénations trop faciles et des procédures
extrêmement coûteuses. L'application de la loi entraînait
en effet des frais énormes : 7 francs par hectare en
moyenne pour des terres qui ne valaient pas plus de 20
francs. Pour achever l'exécution de la loi dans les 12
millions d'hectares du Tell, il aurait fallu cinquante ou
soixante ans et autant de millions. Surtout, la délivrance
des titres facilitait l'expropriation des indigènes par des
spéculateurs peu scrupuleux; jusqu'alors, l'état confus de
la propriété indigène empêchait les transactions
immobilières ; c'était un obstacle fâcheux pour la
colonisation, mais en même temps une sécurité pour
l'indigène. Avec la loi de 1873, on vit s'abattre sur les
douars une nuée d'hommes d'affaires. |
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