Le plus souvent, on ne remettait
pas à l'indigène des terres réellement limitées et
distinctes, mais seulement un titre attestant qu'il avait
droit à une fraction, dont le dénominateur avait parfois
sept ou huit chiffres, dans tel ou tel immeuble; on lui
apprenait d'autre part que ses copropriétaires et lui
n'étaient plus tenus de demeurer dans l'indivision.
Survenait un usurier qui offrait de lui acheter sa part
idéale pour une somme souvent minime, ou qui mieux encore
lui prêtait sur cette part, finissait par s'en rendre
acquéreur et réclamait la licitation du tout. Bien
conduite, une licitation pouvait aboutir à dévorer en
frais et honoraires la valeur de tout le territoire d'une
tribu.
M. Franck-Chauveau a cité le cas d'une fraction de
tribu, près de Mostaganem, composée de 513 indigènes
vivant sur 292 hectares. Quand les opérations de
constitution de la propriété furent terminées, un
individu, délégué par un avocat-défenseur, acheta les
droits de l'un des copropriétaires moyennant 20 francs ; il
poursuivit la licitation, qui eut lieu dans l'étude de
l'avocat-défenseur ; la propriété fut vendue 80 francs et
les frais s'élevèrent à 11 000 francs. Les indigènes
furent expropriés et le domaine acquis par un ancien clerc
de l'homme d'affaires. Les indigènes sont très processifs.
Ils se faisaient un titre de gloire d'avoir dans un coin de
leur gourbi pour 20 ou 30 000 francs de jugements; leurs
femmes et leurs enfants grignotaient une maigre galette de
sorgho sur la vieille malle disloquée qui renfermait ces
précieuses liasses de papier timbré. La loi profita aux
usuriers de toutes races, Européens, Juifs et musulmans,
beaucoup plus qu'aux vrais colons. Au bout de quelques
années de ce régime, il fallut s'arrêter et en 1890 on
suspendit son application. |