Sur les instances de la représentation algérienne, M. Albert
Grévy, frère du Président de la République, fut nommé
gouverneur général. Le chef de la colonie étant pour la première
fois un civil, il fallait prendre un parti touchant ses rapports
avec les autorités militaires. On s'en tira en supprimant le poste
de commandant des forces de terre et de mer. Le commandant du XIXème
corps d'armée, qui fut le général Saussier, était placé sous
les ordres du gouverneur.
M. Albert Grévy eut deux préoccupations dominantes : la réaction
contre le régime militaire et l'assimilation. Il reprit contre le
régime militaire les critiques violentes de Crémieux. Il voulut
faire passer sous l'administration civile tout le Tell et une partie
des hauts plateaux; en 1880, plus d'un million d'indigènes et 5
millions d'hectares furent rattachés au territoire civil; les
communes mixtes reçurent une extension considérable par l'arrêté
du 27 septembre 1880, qui substitua dans tout le Tell les
administrateurs civils aux officiers de bureau arabe.
M. Albert Grévy demandait d'autre part l'assimilation complète
et immédiate de l'Algérie à la France : " Pourquoi,
disait-il, édicter une loi organique spéciale pour un pays qu'il
s'agit précisément de soumettre au droit commun? " Une
Commission spéciale nommée en 1880 pour étudier la question se
prononça dans le même sens. Les décrets du 26 août 1881
marquèrent l'apogée de la politique d'assimilation. Dans ce
système, tous les services, même la justice musulmane, sont
rattachés aux ministères français correspondants. Les affaires
algériennes se trouvent ainsi réparties entre huit ministères. Le
gouverneur général ne prend de décisions qu'autant qu'il en a
reçu une délégation du ministre; encore doit-il, aussitôt une
mesure prise, en rendre compte. Il n'est plus qu'un agent de
transmission ; il est chargé de provoquer les mesures nécessaires
et de les exécuter quand elles sont prises. A la responsabilité
déjà bien fictive du ministre de l'Intérieur, on substitue la
responsabilité éparpillée de chacun des membres du cabinet. Les
affaires tombent entre les mains de fonctionnaires subalternes,
incapables de résister aux influences parlementaires ou autres. La
solution des affaires est indéfiniment retardée par les bureaux de
Paris. A force de répéter : " L'Algérie est un prolongement
de la France, l'Algérie forme trois départements français ",
on finit par s'imaginer qu'on pouvait administrer 4 millions de
musulmans berbères comme des paysans normands ou des vignerons
bordelais.
Ces décrets étaient l'œuvre des représentants de l'Algérie au
Parlement, désireux de traiter les affaires avec les chefs de
service des ministères en dehors du gouverneur et par-dessus sa
tête. La prétention d'administrer de Paris notre colonie africaine
devait conduire et conduisit en effet à des conséquences absurdes.
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