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Le gouvernement général n'était plus que la façade d'un édifice
sans fondements. Pour la solution des questions de l'ordre
administratif le plus infime, il fallait en référer aux ministres
ou plutôt à leurs bureaux. Toutes les affaires algériennes, même
les plus courantes, se traitaient à Paris. Les solutions
s'improvisaient, parfois se contredisaient, souvent se faisaient
attendre ou même restaient dans la plume des employés. Il n'y
avait dans chaque ministère que des poussières d'attributions
algériennes et des poussières de responsabilités. Tout le monde
s'occupait de l'Algérie, mais bien peu s'y intéressaient. Par la
faute des institutions, aucune vue d'ensemble, nulle perspective
d'avenir ne présidait plus au gouvernement de notre possession
algérienne. " A Alger, dit M. Jonnart, la plupart des grands
chefs de service vivaient à côté du gouverneur général sans le
connaître; ils ne relevaient en aucune façon de lui; ils
correspondaient directement avec les ministres dont ils
dépendaient, si bien qu'on pouvait comparer les services algériens
aux grandes maisons parisiennes où les locataires ne se connaissent
que de vue et se saluent dans l'escalier. Au lieu de s'entraider, il
arrivait à ces services, relevant de chefs différents, d'opposer
pouvoir à pouvoir, compétence à compétence et alors les conflits
éclataient, bruyants, nombreux, provoquant un échange de notes
aigres-douces, administrativement rédigées mais pleines de
révélations piquantes et de propos malins, qui rappelaient la
scène de Célimène et d'Arsinoé dans le Misanthrope. Cela
s'appelait la politique d'assimilation. "
C'est surtout en matière d'administration départementale et
communale qu'on avait copié trop servilement l'organisation
métropolitaine. L'application pure et simple à l'Algérie de la
loi sur les conseils généraux avait été prématurée; la
population indigène, qui supportait presque toutes les charges,
était trop souvent sacrifiée, l'administration contrariée dans
ses efforts pour réserver les crédits aux travaux utiles et en
assurer l'emploi régulier. Les vices de l'organisation communale
étaient plus graves encore. La loi municipale du 5 avril 1884 fut
déclarée applicable à l'Algérie et donna aux communes de plein
exercice le même régime qu'aux communes de la métropole. En même
temps, l'autonomie communale était conférée à des centres de
colonisation encore à l'état embryonnaire, trop peu importants
pour vivre si on ne leur avait adjoint des territoires indigènes;
on engloba donc dans les communes de plein exercice des douars ou
des fractions de douars qui leur procurèrent une augmentation de
recettes. En principe, la population musulmane n'aurait dû être
admise au régime municipal de droit commun que dans la mesure de
son voisinage immédiat et de son contact économique avec
l'élément européen, en un mot dans la mesure où ses propres
intérêts se confondaient réellement avec ceux de la ville ou du
centre européen, comme c'était le cas dans les villes telles
qu'Oran, Mostaganem, Tiaret, Guelma, etc.
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