Ayant réorganisé sa mission, il quitta de nouveau Ouargla se
dirigeant sur le Hoggar, malgré une lettre hautaine et menaçante
de l'amenokal Ahitaghel : " Vous nous avez dit de vous ouvrir
la route, écrivait celui-ci, nous ne vous l'ouvrirons pas. "
Flatters ne tint aucun compte des avis peu rassurants qu'il recevait
de toutes parts, notamment de M. Féraud, notre consul général à
Tripoli et s'avança jusqu'au cœur du massif touareg. Le 16 février
1881, s'étant éloigné de son camp avec une faible escorte, il fut
massacré avec ses compagnons au puits de Bir-el-Gharama. Les autres
membres de la mission périrent dans une longue et douloureuse
retraite, semant la route de leurs cadavres; mourant de faim, ils en
étaient réduits à manger les corps de leurs compagnons, parfois
même à achever les mourants pour les dévorer; des bandes de
Touaregs rôdaient autour d'eux comme des hyènes, tantôt leur
offrant des dattes empoisonnées avec de la jusquiame, tantôt leur
disputant le passage. Une vingtaine d'indigènes seulement
parvinrent à regagner Ouargla ; on ne comptait pas un seul
Français parmi les survivants.
Le massacre de la mission Flatters n'a pas été un de ces
accidents qui défient les prévisions humaines; il fut le résultat
d'une erreur de méthode, qui ôtait à la mission toute force
militaire sans désarmer les défiances et les convoitises.
L'émotion fut grande en France et en Algérie quand on apprit
l'issue tragique de cette entreprise. Les conséquences en furent
encore aggravées par la décision prise par le gouvernement de
renoncer à châtier les coupables. Le Sahara fit d'autres victimes
dans les années qui suivirent : en 1881, les Pères blancs Richard,
Morat et Pouplard ; en 1886, le lieutenant Palat ; en 1889,
l'explorateur Camille Douls. L'idée du transsaharien fut
momentanément abandonnée et, pour clore la grande enquête ouverte
par M. de Freycinet en juillet 1879, le conseil général des Ponts
et Chaussées, dans sa séance du 21 juin 1881, émit l'avis que,
"puisque l'entreprise du transsaharien ne pouvait être
abordée que lorsqu'on aurait occupé d'une manière permanente et
définitive le Sahara algérien, il y avait lieu d'ajourner toute
décision sur le choix d'une ligne pour amorce de ce chemin de fer
et de ne donner suite aux avant-projets qu'autant que l'exécution
en serait réclamée dans un intérêt politique ou stratégique.
"
Le désastre de la mission Flatters porta une grave atteinte à
notre prestige dans le Sahara; l'audace de nos adversaires en fut
accrue. L'insurrection qui éclata en 1881 dans le Sud-Oranais ne
fut d'ailleurs que la suite de celle de 1864, qui ne s'était jamais
complètement éteinte. Un marabout appartenant à la famille des
Ouled-Sidi-Cheikh, Bou-Amama, établi à Moghrar, poussa les
indigènes à la révolte. Le 14 mai, il s'avança audacieusement
jusqu'à la limite nord des hauts-plateaux oranais, brûlant les
chantiers d'alfa de Khalfallah près de Saïda et massacrant les
travailleurs espagnols.
|