M. Cambon eut l'occasion également de préparer un projet de budget
spécial et de Conseil colonial dont on s'inspira quelques années
plus tard.
Le rapport de Jules Ferry, qui fut son testament politique, est
demeuré célèbre dans les annales parlementaires; l'élévation
des idées, la vigueur du style en font une des pages les plus
éloquentes qu'on ait écrites sur l'Algérie. Le système des
rattachements y était condamné dans les termes les plus
énergiques : « Les inspirateurs des décrets de 1881, disait Jules
Ferry, se proposaient un double but améliorer les services,
annihiler ou du moins réduire l'autorité du gouverneur général.
De ce programme, la seconde partie seule a été réalisée, au
grand détriment des affaires elles-mêmes. Au lieu de concentrer à
Alger entre les mains d'un grand fonctionnaire, investi de grands
pouvoirs, la décision du plus grand nombre des affaires, on l'a
éparpillée à Paris entre neuf ministères. Mais les colonies, pas
plus que les batailles, ne se commandent de loin, dans les bureaux
d'un ministère. »
Le rapport de Jules Ferry fut discuté par le Sénat le 30 mai
1893; M. Jules Cambon intervint dans la discussion, renouvela les
observations qu'il avait déjà présentées en 1891 devant la
Commission, fit connaître ses vues sur le rôle du gouverneur
général et sur l'organisation administrative de l'Algérie. Il
montra combien était important le rôle du gouverneur, chargé
d'administrer la population civile, de développer la colonisation,
de veiller avec sollicitude sur les intérêts des indigènes dont
il doit se considérer comme le représentant et le défenseur : «
De la définition du rôle du gouverneur général, dit-il, résulte
la définition même de ses attributions; son action est complexe;
en même temps, elle doit être une action unique, car c'est le
même homme qui peut tenir seul la balance entre les intérêts de
la colonisation française et les intérêts de la population
indigène dont il a seul la charge... En Algérie, la France se
trouve en présence d'éléments de population divers, se
distinguant les uns des autres, tenant à se distinguer, qui
continueront de vivre sans mêler ni leurs idées, ni leurs
sentiments intimes. Ne cherchez point à doter ce pays
d'institutions qui se heurtent aux traditions du passé. Donnez-lui
au contraire une administration capable de pénétrer la complexité
de l'œuvre qui lui est confiée, munie de pouvoirs qui lui
permettront de tenir compte d'intérêts en apparence opposés et
d'approprier son action à la nature diverse des hommes et des
choses. »
Le Sénat adopta les conclusions du rapport de Jules Ferry, aux
termes d'un ordre du jour constatant l'accord du gouvernement et de
la Commission sur la nécessité de rapporter les décrets de
rattachement et de fortifier les pouvoirs du gouverneur général.
|