Les Délégations financières reposent sur le principe de la
représentation des intérêts. Elles constituent un mécanisme fort
ingénieux, tel qu'on pouvait l'attendre de la science juridique de
M. Laferrière et on ne peut leur reprocher qu'une excessive
complication : complication voulue d'ailleurs et destinée à
empêcher les écarts auxquels peut se livrer une assemblée unique
et homogène. L'âge de l'électorat fixé à vingt-cinq ans, la
naturalisation depuis douze ans étaient des précautions prises
pour empêcher l'afflux trop rapide des Néo-Français.
Les assemblées algériennes ressemblent à première vue aux deux
Chambres d'un Parlement. Mais elles n'ont en réalité ni pouvoir
législatif, ni autorité souveraine. Elles ont un rôle
prépondérant dans l'élaboration du budget, qu'elles votent sous
réserve d'homologation par décret rendu en Conseil d'État et
d'approbation par le Parlement. Toute modification au régime fiscal
de l'Algérie doit être voté par elles. Ce sont elles également
qui votent les emprunts et autorisent le gouverneur à accorder des
concessions de chemins de fer. Mais en dehors du budget, dont
l'examen leur incombe, elles ne peuvent qu'émettre des vœux et
donner des avis; dans la pensée de leur créateur, elles
rappelleraient donc plutôt les Conseils généraux des colonies.
La première session des Délégations financières s'ouvrit à
Alger en décembre 1898 : « Je confie à votre sagesse et à votre
patriotisme, disait M. Laferrière, cette institution nouvelle. Je
vous la remets comme on remet au colon une terre pleine de sève,
mais qui a besoin, pour devenir féconde, du travail et de la calme
persévérance de celui qui la détient. » A l'ouverture de la
deuxième session, en novembre 1899, M. Laferrière indiquait très
bien dans quel esprit les Délégations financières avaient été
conçues : « L'avenir, disait-il, ne dépend pas de l'action que la
population algérienne s'efforcerait d'exercer sur les destinées de
la métropole en fournissant un modique appoint aux partis qui
aspirent à les diriger; il dépend de l'action que l'Algérie peut
exercer sur ses propres destinées, d'un effort fraternel de tous
ses enfants vers un même but, qui est la création d'un
self-government non politique assurément, mais économique et
social. » Ces sages conseils furent entendus et les Délégations
financières, comme on le verra, ne déçurent pas les espérances
de leur fondateur.
De cruelles épreuves privées - la perte d'un fils - le souci de
sa propre santé très ébranlée amenèrent M. Laferrière à
résigner ses fonctions en octobre 1900 ; il fut nommé procureur
général à la Cour de cassation et mourut l'année suivante. Il
était venu en Algérie à une époque bien tardive de sa carrière
et de son existence ; soucieux de ses responsabilités, il n'était
pas sans montrer quelque inquiétude sur ce terrain nouveau pour
lui.
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