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« Nous savons, lui dit un jour un homme politique anglais, que vous
avez été plusieurs fois ministre; mais beaucoup d'hommes en France
ont été ministres dont les noms sont ignorés ou oubliés; celui
que nous honorons en vous, c'est le grand proconsul, le grand
gouverneur de l'Algérie. »
C'est en effet dans ces fonctions, avec lesquelles il s'était en
quelque sorte identifié, que M. Jonnart donna vraiment sa mesure.
L'Algérie n'était pas pour lui comme pour tant d'autres une étape
à franchir plus ou moins rapidement; elle fut vraiment le centre de
sa carrière et de ses préoccupations. C'était un homme d'un
commerce sûr, une intelligence et un cœur d'une noblesse parfaite.
Ce grand bourgeois, d'abord assez froid, mais qui savait être
séduisant lorsqu'il le voulait, jouissait en Algérie d'une
véritable popularité, aussi bien parmi les colons que parmi les
indigènes; il pouvait tout obtenir d'eux. Peu d'hommes ont
contribué autant que lui à la création d'une France nouvelle au
delà de la Méditerranée, une des plus grandes oeuvres, la plus
féconde peut-être, dont s'honore notre pays depuis un
demi-siècle.
M. Jonnart s'était proposé avant tout de faire aboutir le
budget spécial. Les pouvoirs les plus forts donnés au gouverneur,
le plus large crédit consenti aux assemblées locales sont peu de
chose pour le développement d'une colonie si elle n'a pas son
budget ou si ce budget est consenti loin d'elle, sous des influences
et des nécessités qui lui sont étrangères. Seule, la
décentralisation budgétaire peut apporter à ceux qui administrent
ou représentent un pays neuf ces deux facteurs essentiels du
progrès : l'esprit d'initiative et l'esprit d'économie.
En octobre 1900, dans les conversations qui précédèrent sa
nomination, M. Jonnart était intervenu personnellement auprès de
Waldeck-Rousseau et l'avait converti à l'idée du budget spécial,
dont Rouvier, ministre des Finances, ne voulait pas. Dans les
premiers rapports qu'il adressa au président du Conseil, le
gouverneur expliqua que les promoteurs du mouvement antijuif
n'auraient jamais constitué une opposition redoutable s'ils
n'avaient trouvé un terrain propice à leur propagande, une
Algérie en plein malaise de croissance nerveuse, souffrant d'un
régime administratif incohérent et trop souvent infécond, que les
critiques du Parlement et les avertissements si pressants de M.
Jules Cambon avaient à peine ébranlé. « Les peuples, disait M.
Jonnart, sont comme les individus. Plus ils sont jeunes, ardents,
débordants de vie, plus il faut les occuper. Il faut se garder de
les abandonner au désœuvrement de leurs pensées et aux fantaisies
de leur imagination. »
La loi du 19 décembre 1900, votée presque sans discussion sur un
rapport de M. André Berthelot, conféra à l'Algérie la
personnalité civile et lui donna un budget spécial. « On
s'accorde aujourd'hui, disait l'exposé des motifs, à ne plus
considérer l'Algérie comme un simple prolongement de la France
continentale.
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