La fraternité des Algériens est désormais scellée dans
le sang et il n'y a plus qu'une seule catégorie de
Français : ceux qui ont combattu contre l'ennemi commun.
C'est ici le lieu de se remémorer les pages où Renan a si
éloquemment démontré que ce qui constitue une nation, ce
n'est ni la forme du crâne, ni l'identité d'origine, mais
la communauté des souvenirs et des espérances, des gloires
et des deuils. D'autre part, l'immigration espagnole, en
raison des conditions du change, n'est plus attirée par les
hauts salaires et s'est arrêtée. Bref, on peut dire que la
guerre, en Algérie, a fait avancer la fusion des éléments
européens. Il n'est plus question du « péril étranger
», qui avait paru si redoutable vingt ans auparavant.
Dans l'ensemble, l'Algérie a dû à la guerre un
enrichissement au moins relatif, parce que la vie
économique y a été moins complètement arrêtée qu'en
France. Les Européens ont obtenu, notamment dans la
viticulture, des bénéfices considérables. Mais les
indigènes ont réalisé plus de profits encore que les
colons et leur condition s'est transformée bien davantage.
Il faut faire état des primes d'engagement et de
démobilisation, des allocations journalières, des carnets
de pécule, des salaires des travailleurs coloniaux; dans
les communes de Kabylie, il a été payé pour 10 millions
de francs de mandats postaux en 1914, 12 millions en 1915,
17 millions en 1916, 26 millions en 1917. Enfin et surtout,
les hauts prix atteints par les céréales et par le bétail
ont profité aux indigènes. Or, l'indigène possesseur de
quelques ressources voit dans la terre le placement le plus
sûr; inquiet de l'inflation fiduciaire, il cherche à se
défaire de ses billets de banque et à les remplacer par
des propriétés, qu'il est disposé à payer très cher. |