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Le fait qu'ils hésitent à le
faire est la meilleure preuve qu'ils ne sont pas encore mûrs
pour y pénétrer de plain-pied. Comme l'écrivait M. Raymond
Aynard, «pour peu qu'on se rende compte de l'immense
différence des milieux, des traditions, des éducations et des
races, on admettra difficilement que ces indigènes, si
éloignés de nos idées et de nos sentiments, participent à la
direction de nos affaires et qu'affranchis d'une partie de nos
lois civiles, ils légifèrent pour nous. On reconnaîtra qu'il
serait dérisoire de leur accorder pour la forme quelques places
au Palais-Bourbon ou au Luxembourg, ou singulièrement
périlleux de leur faire une part normale, de constituer dans
nos assemblées un groupe musulman, qui pourrait devenir
l'arbitre des partis en cas de crise et qui, objet de leurs
surenchères, accorderait son concours au prix des concessions
les plus fâcheuses pour notre autorité et notre prestige. »
Il n'est d'ailleurs pas difficile d'imaginer une représentation
des indigènes à Paris, en dehors du Parlement, qui
présenterait pour eux plus d'avantages sans offrir les mêmes
inconvénients. |
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LA CRISE DE LA MAIN-D'
ŒUVRE |
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L'exode des musulmans algériens en
France s'est maintenu et développé après la guerre; les
indigènes, qui ont touché des salaires élevés et réalisé
des économies pendant leur séjour en France, sont les
meilleurs agents recruteurs auprès de leurs coreligionnaires;
le mouvement, comme avant la guerre, est alimenté presque
exclusivement par la Kabylie. Bien qu'on n'ait pas de données
précises, on estime que le nombre des travailleurs indigènes
en France a passé de 52 000 en 1921 à 72 000 en 1922 et 92 000
en 1923; ils sont aujourd'hui environ 100 000. La majeure partie
réside dans la région parisienne; le reste se trouve dans le
Nord de la France (départements du Nord et du Pas-de-Calais),
dans le centre (Lyon, Saint-Étienne, Clermont), dans la région
méditerranéenne (Marseille). Leur rendement est en général
médiocre; ils fournissent un travail irrégulier, changent
souvent d'employeurs, sont les premiers congédiés en cas de
crise; il faut alors les hospitaliser ou les rapatrier. La
plupart exercent des métiers qui n'exigent pas d'apprentissage;
on leur confie de basses besognes, que dédaignent les autres
travailleurs.
Obligée dès avant la guerre de faire appel à la main-d'œuvre
étrangère, la France y est contrainte aujourd'hui dans des
proportions bien plus considérables encore. La main-d'œuvre
indigène ne risque donc pas de concurrencer la main-d'œuvre
nationale. Les salaires que touchent les indigènes, les
économies qu'ils réalisent, vont enrichir la France
d'outre-mer; l'émigration améliore leur situation matérielle. |
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