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CHAPITRE VIII.

 

 
PRÉLIMINAIRES
de l'invasion française.
 

 
I. Troubles dans la famille de Ben-Salem. - II. Un voyage chez les Kabyles. - III. Échange de manifestes.
 
 
Jusqu'à ce jour, la Grande Kabylie a maintenu heureusement sa vieille indépendance entre l'ambition d'Abd-el-Kader et notre fatalité conquérante. Ses marches ont appartenu tour à-tour aux deux puissances rivales ; elle s'en est ressentie, mais sans courber la tête. Tout en prêtant l'oreille aux prédications religieuses de l'émir, elle a su lui refuser l'impôt ; de même elle incline aux bonnes relations avec les chrétiens, depuis qu'ils ont fait acte de puissance dans la région de l'Isser et de Hamza ; cependant elle ne ferme point à Ben-Salem ses montagnes hospitalières. Cette attitude ne doit pas durer : le moment est venu pour les Kabyles d'entendre des menaces plus sérieuses que celles dont ils ont bravé l'accomplissement depuis bien des siècles.

Les succès décisifs qui viennent de couronner nos armes sur tous les points de l'Algérie, en 1842, ont fait entrer le gouvernement français dans une voie d'occupation plus large : il se propose désormais la conquête entière du Tell avec une influence prépondérante sur le petit désert ; il écrit dans ce sens au lieutenant-général-gouverneur, et lui prescrit de soumettre également la Grande Kabylie.

    

 

   
Quelques troubles intérieurs retardent d'abord l'exécution de cet ordre ; plus tard, c'est le blâme violent d'une partie de la chambre élective et de la presse contre toute entreprise militaire dirigée dans ce but. Mais ni l'opinion intime du cabinet, ni celle du gouverneur de l'Algérie n'en paraissent modifiées ; ils reculent, l'un comme l'autre, devant l'idée d'admettre, à vingt lieues de la capitale algérienne, l'existence d'une enclave indépendante qui peut servir sans cesse d'exemple aux fanatiques, de refuge aux malfaiteurs, de base d'opérations à un ennemi plus sérieux. Comme il appartient à la prérogative royale de trancher, sans le concours des pouvoirs législatifs, toute question de paix ou de guerre, la conquête de la Kabylie n'en poursuivra pas moins son cours, malgré certaines difficultés parlementaires dont il n'est pas indispensable que nous nous occupions ici.

Pendant toute l'année 1843, l'éveil fut donné plusieurs fois aux Kabyles, tantôt par la rumeur publique, tantôt par des préparatifs faits au grand jour. Le mystère, en cette occurrence, n'était pas de saison ; car ne pouvant compter sur une surprise absolue, au moins par une longue attente on fatiguait les tribus menacées, on exposait leur ligue à toutes les chances de discorde inhérentes à sa nature ; en outre, l'effet moral de nos victoires précédentes, aux mains d'une politique adroite, pouvait, avant le commencement même de la lutte, détacher quelques soumissions volontaires.

Le temps ne manqua donc point aux Kabyles pour se mettre en état de défense ; mais comme nous venons de le faire observer, ce temps, si précieux chez des peuples organisés, devient souvent, au sein des masses tumultueuses, un principe de dissolution. Là, l'extrême liberté produit l'indiscipline ; les rivalités intérieures engendrent la défiance ; l'expectative d'un danger, qui n'est pas le même pour tous, établit des nuances dans les intérêts au lieu de les fondre en un seul : chacun pense à soi, personne à la patrie.

 
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